La France, l’Allemagne et l’Italie entrent en camLa France, l’Allemagne et l’Italie entrent en campagnes électorales. Un an après les élections de décembre 2015, M. Mariano Rajoy a pris la tête, en Espagne d’un gouvernement minoritaire, qui n’a pu être investi que grâce à l’abstention du PSOE et dont l’action législative dépendra du bon vouloir de ce parti, en proie à la tourmente interne et à la concurrence de Podemos. En Pologne, tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du PIS, dont le virage autoritaire et l’orientation eurosceptique se confirment.
Ainsi, six mois après le vote des Britanniques sur le Brexit, deux mois après l’élection de Donald Trump comme Président des Etats-Unis, les cinq grands pays européens ne sont pas en ordre de marche pour conférer à l’Union l’impulsion nécessaire pour faire face aux grands défis qui s’imposent à elle.
Et pourtant…Les conclusions du Conseil européen du 15 décembre, plutôt brèves et opérationnelles, se veulent encourageantes.

1/ Sur les migrations, l’année 2016 a été enfin marquée par quelques progrès. Mais dans un contexte de forte menace terroristes, ceux-ci peuvent sembler dérisoires.
Malgré l’intense répression policière et judiciaire engagée par les autorités turques à la suite des évènements du 15 juillet 2016, la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, par laquelle Ankara s’est engagée à accueillir à nouveau les migrants illégaux entrés dans l’espace Schengen, en contrepartie d’une aide de 3 milliards d’euros de l’UE, a connu un début d’application. On note aussi une meilleure implication des pays d’Afrique subsaharienne dans la mise en œuvre des pactes de lutte contre l’immigration illégale. L’opération Sophia vient en appui aux garde-côtes libyens dans la lutte contre les passeurs. Le corps européen des garde-frontières et garde-côtes commence à prendre forme.
En revanche, le bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) n’est pas encore réellement opérationnel, ce qui explique les nombreuses entorses apportées aux règles de Dublin et la facilité avec laquelle des requérants dont la demande est en cours d’instruction dans un Etat-membre, voire a été rejetée, peuvent sans difficulté se rendre dans un autre Etat et y introduite une nouvelle requête.
2/ Sous la rubrique « sécurité », le Conseil européen traite d’abord du volet intérieur. Il s’agit surtout de noter l’accord sur le renforcement du contrôle aux frontières externes ainsi que la nouvelle législation sur les dossiers passagers (PNR). Un paquet plus global doit être adopté en 2017.
Mais comment l’opinion pourrait-elle admettre la crédibilité de ces progrès, alors que le 19 décembre, quatre jours seulement après le Conseil européen, le Tunisien Anis Amri a commis l’attentat que l’on sait au marché de Noël de Berlin ? Le cas de cet individu est symptomatique des difficultés de l’Europe. Arrivé à Lampedusa en 2011, Amri est condamné à 4 ans de prison pour incendie volontaire. Une fois son incarcération terminée, il aurait dû être expulsé vers son pays d’origine : mais selon une pratique hélas courante, les autorités tunisiennes n’accordent pas le LPC (laissez-passer consulaire). Amri quitte le centre de rétention et part pour l’Allemagne en toute illégalité. Débouté du droit d’asile, il n’est toujours pas expulsé. Une fois commis son terrible forfait, alors qu’il est recherché par toutes les polices européennes, il parvient à repasser en Italie, où enfin, par hasard, il fait l’objet d’un contrôle d’identité. Avant d’être abattu, il fait usage de son arme et blesse un policier italien.
3/ Le chapitre « sécurité et défense » fait l’objet de paragraphes plus étoffés.
Les plus optimistes peuvent y voir un réveil de l’Union après le Brexit et à quelques semaines de l’ère Trump. Mais là encore, au-delà des mots, la réalité est modeste.
Appel à mobiliser plus de ressources pour la défense, mais « en tenant compte des situations nationales et des engagements juridiques ». Nous sommes encore loin de l’exclusion des dépenses militaires du pacte de stabilité et de croissance, qui eût été bienvenue.
Nous trouvons ensuite l’inévitable mise en garde contre les « doubles emplois » avec l’OTAN, prétexte des plus atlantistes pour ne rien faire. Le paragraphe 10 contient l’une de ces tournures particulièrement goûtée des rédacteurs des conclusions du CE : « Agir de manière autonome lorsque c’est nécessaire, là où c’est nécessaire et avec (leurs) partenaires dans tous les cas où c’est possible ». Comme c’est dissuasif !
Mme Mogherini est invitée à présenter des propositions sur les capacités civiles, « les paramètres d’un examen annuel coordonné en matière de défense piloté par les Etats membres », etc…Est même envisagée « une coopération structurée permanente inclusive (mais incluant quoi ?) reposant sur une approche modulaire et traçant les contours de projets éventuels ». A ceux tentés de me taxer d’exagération, je garantis qu’il s’agit d’une citation littérale.
Un peu plus concret : les propositions de la Commission seront étudiées. Elles visent notamment à créer un Fonds européen de la défense. Très bien. Mais à y regarder de plus près, un budget de quelques millions d’euros, prélevable sur le programme recherche est envisagé. Quant aux activités opérationnelles, elles coûteraient beaucoup plus cher : 5 milliards d’euros : ceux-ci viendront des Etats-membres qui le voudront bien.
Après l’élection d’un Président américain décidé à se désintéresser de la défense européenne, une phrase aurait suffi : « Nous sommes enfin décidés à appliquer nos engagements de décembre 2013 sur les capacités opérationnelles, les structures de commandement et le marché de l’armement ». Mais cette phrase ne figure pas dans les conclusions du Conseil européen.

4/ Pour l’énergie, la stratégie sera appliquée en 2018 à condition « que certaines conditions essentielles soient résolues ». Il s’agit surtout du charbon allemand et polonais….
5/ Quelques phrases fortes sur le conflit syrien.
6/ Une voie de sortie pour les Pays-Bas, qui, le 6 avril 2016, ont rejeté par referendum l’accord d’association avec l’Ukraine alors que celui-ci était déjà appliqué à titre provisoire. Une décision des chefs d’Etat ou de gouvernement rappelle que cet accord n’implique ni la vocation de l’Ukraine à adhérer à l’UE, ni la libre circulation des personnes, mais prévoit la lutte contre la corruption dans ce pays.

Que ceux qui s’étonnent encore de la montée de l’euroscepticisme s’interrogent sur l’effet de telles conclusions. Et surtout sur l’absence de volonté politique réelle qui transparaît au travers de phrases creuses.
pagnes électorales. Un an après les élections de décembre 2015, M. Mariano Rajoy a pris la tête, en Espagne d’un gouvernement minoritaire, qui n’a pu être investi que grâce à l’abstention du PSOE et dont l’action législative dépendra du bon vouloir de ce parti, en proie à la tourmente interne et à la concurrence de Podemos. En Pologne, tous les pouvoirs sont concentrés dans les mains du PIS, dont le virage autoritaire et l’orientation eurosceptique se confirment.
Ainsi, six mois après le vote des Britanniques sur le Brexit, deux mois après l’élection de Donald Trump comme Président des Etats-Unis, les cinq grands pays européens ne sont pas en ordre de marche pour conférer à l’Union l’impulsion nécessaire pour faire face aux grands défis qui s’imposent à elle.
Et pourtant…Les conclusions du Conseil européen du 15 décembre, plutôt brèves et opérationnelles, se veulent encourageantes.

1/ Sur les migrations, l’année 2016 a été enfin marquée par quelques progrès. Mais dans un contexte de forte menace terroristes, ceux-ci peuvent sembler dérisoires.
Malgré l’intense répression policière et judiciaire engagée par les autorités turques à la suite des évènements du 15 juillet 2016, la déclaration UE-Turquie du 18 mars 2016, par laquelle Ankara s’est engagée à accueillir à nouveau les migrants illégaux entrés dans l’espace Schengen, en contrepartie d’une aide de 3 milliards d’euros de l’UE, a connu un début d’application. On note aussi une meilleure implication des pays d’Afrique subsaharienne dans la mise en œuvre des pactes de lutte contre l’immigration illégale. L’opération Sophia vient en appui aux garde-côtes libyens dans la lutte contre les passeurs. Le corps européen des garde-frontières et garde-côtes commence à prendre forme.
En revanche, le bureau européen d’appui en matière d’asile (EASO) n’est pas encore réellement opérationnel, ce qui explique les nombreuses entorses apportées aux règles de Dublin et la facilité avec laquelle des requérants dont la demande est en cours d’instruction dans un Etat-membre, voire a été rejetée, peuvent sans difficulté se rendre dans un autre Etat et y introduite une nouvelle requête.
2/ Sous la rubrique « sécurité », le Conseil européen traite d’abord du volet intérieur. Il s’agit surtout de noter l’accord sur le renforcement du contrôle aux frontières externes ainsi que la nouvelle législation sur les dossiers passagers (PNR). Un paquet plus global doit être adopté en 2017.
Mais comment l’opinion pourrait-elle admettre la crédibilité de ces progrès, alors que le 19 décembre, quatre jours seulement après le Conseil européen, le Tunisien Anis Amri a commis l’attentat que l’on sait au marché de Noël de Berlin ? Le cas de cet individu est symptomatique des difficultés de l’Europe. Arrivé à Lampedusa en 2011, Amri est condamné à 4 ans de prison pour incendie volontaire. Une fois son incarcération terminée, il aurait dû être expulsé vers son pays d’origine : mais selon une pratique hélas courante, les autorités tunisiennes n’accordent pas le LPC (laissez-passer consulaire). Amri quitte le centre de rétention et part pour l’Allemagne en toute illégalité. Débouté du droit d’asile, il n’est toujours pas expulsé. Une fois commis son terrible forfait, alors qu’il est recherché par toutes les polices européennes, il parvient à repasser en Italie, où enfin, par hasard, il fait l’objet d’un contrôle d’identité. Avant d’être abattu, il fait usage de son arme et blesse un policier italien.
3/ Le chapitre « sécurité et défense » fait l’objet de paragraphes plus étoffés.
Les plus optimistes peuvent y voir un réveil de l’Union après le Brexit et à quelques semaines de l’ère Trump. Mais là encore, au-delà des mots, la réalité est modeste.
Appel à mobiliser plus de ressources pour la défense, mais « en tenant compte des situations nationales et des engagements juridiques ». Nous sommes encore loin de l’exclusion des dépenses militaires du pacte de stabilité et de croissance, qui eût été bienvenue.
Nous trouvons ensuite l’inévitable mise en garde contre les « doubles emplois » avec l’OTAN, prétexte des plus atlantistes pour ne rien faire. Le paragraphe 10 contient l’une de ces tournures particulièrement goûtée des rédacteurs des conclusions du CE : « Agir de manière autonome lorsque c’est nécessaire, là où c’est nécessaire et avec (leurs) partenaires dans tous les cas où c’est possible ». Comme c’est dissuasif !
Mme Mogherini est invitée à présenter des propositions sur les capacités civiles, « les paramètres d’un examen annuel coordonné en matière de défense piloté par les Etats membres », etc…Est même envisagée « une coopération structurée permanente inclusive (mais incluant quoi ?) reposant sur une approche modulaire et traçant les contours de projets éventuels ». A ceux tentés de me taxer d’exagération, je garantis qu’il s’agit d’une citation littérale.
Un peu plus concret : les propositions de la Commission seront étudiées. Elles visent notamment à créer un Fonds européen de la défense. Très bien. Mais à y regarder de plus près, un budget de quelques millions d’euros, prélevable sur le programme recherche est envisagé. Quant aux activités opérationnelles, elles coûteraient beaucoup plus cher : 5 milliards d’euros : ceux-ci viendront des Etats-membres qui le voudront bien.
Après l’élection d’un Président américain décidé à se désintéresser de la défense européenne, une phrase aurait suffi : « Nous sommes enfin décidés à appliquer nos engagements de décembre 2013 sur les capacités opérationnelles, les structures de commandement et le marché de l’armement ». Mais cette phrase ne figure pas dans les conclusions du Conseil européen.

4/ Pour l’énergie, la stratégie sera appliquée en 2018 à condition « que certaines conditions essentielles soient résolues ». Il s’agit surtout du charbon allemand et polonais….
5/ Quelques phrases fortes sur le conflit syrien.
6/ Une voie de sortie pour les Pays-Bas, qui, le 6 avril 2016, ont rejeté par referendum l’accord d’association avec l’Ukraine alors que celui-ci était déjà appliqué à titre provisoire. Une décision des chefs d’Etat ou de gouvernement rappelle que cet accord n’implique ni la vocation de l’Ukraine à adhérer à l’UE, ni la libre circulation des personnes, mais prévoit la lutte contre la corruption dans ce pays.

Que ceux qui s’étonnent encore de la montée de l’euroscepticisme s’interrogent sur l’effet de telles conclusions. Et surtout sur l’absence de volonté politique réelle qui transparaît au travers de phrases creuses.

 

Avec M. Mathias Fekl, Secrétaire d’Etat auprès du Ministre des affaires étangères et du développement international et Mme Nadia Pellefigue, vice-présidente du Conseil Régional.

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Le 23 juin, 51,9 % des électeurs du Royaume Uni votaient en faveur de la sortie de cet Etat de l’Union européenne. Depuis la création de la CECA en 1951, c’est la première fois qu’un Etat décide de quitter la Communauté devenue Union.

Dix jours après, nous pouvons vérifier ce qui a été écrit ici même (et ailleurs) : cet événement majeur ne produira ses effets qu’à moyen ou long terme. Car pour le moment, ce qui frappe est l’impréparation des principaux acteurs européens au départ de l’Union d’un Etat qui se classe au deuxième rang par son PNB, au troisième par sa population.

 

1/ Un Royaume désuni.

Certes a-t-on constaté la jubilation  du chef de file du Brexit, M. Farrage. Mais on aurait peine à déceler dans ses propos un plan d’action pour l’avenir. Et c’est au fond normal puisque son programme se résumait à cet appel au retrait désormais entériné par le peuple.

Dans les rangs conservateurs, les effets sont dévastateurs. La stratégie visiblement concertée entre MM. David Cameron et Boris Johnson, qui n’est plus candidat au poste de Premier ministre, consiste à gagner du temps. Démission du Premier ministre : pas avant septembre. C’est donc à la rentrée que le nouveau gouvernement notifiera à Bruxelles l’intention du Royaume-Uni de se retirer de l’Union, déclenchant le fameux article 50 du traité sur l’Union européenne.

On a beaucoup parlé de cet article 50, introduit par le traité de Lisbonne et donc applicable depuis le 1er décembre 2009. Une question n’a pas été posée : que se serait-il passé si cet article n’existait pas ? Son insertion dans les traités ne constituait-elle pas en elle-même une forme d’incitation à l’utiliser ?

Nul ne sait exactement quel sera le programme du prochain gouvernement britannique. Négocier le Brexit, cela suffit-il à satisfaire les attentes des électeurs ?

Pas vraiment de stratégie, mais une tactique : attendre, faire traîner. Et cela pour la raison suivante : il n’y a pas de plan B, mais Londres va tenter d’exploiter les divisions qui ne manqueront pas d’apparaître entre ses « partenaires ».

Le parti travailliste est également secoué et son leader contesté. Les pulsions régionalistes écossaise et nord-irlandaise repartent de plus belle : ces territoires voulaient et veulent encore demeurer dans l’Union.

Ce qui apparaît au grand jour, c’est que M. Cameron a été réélu en mai 2015 sur une profonde ambigüité. L’annonce du referendum a fédéré les électeurs pensant que le PM était capable de négocier un accord de maintien et ceux qui n’attendaient ce scrutin que pour voter non.

Naturellement, en dépit des soubresauts des places financières, il est trop tôt pour mesurer l’impact de ce vote sur l’économie et la société britanniques. Mais ce qui est certain, c’est que le Royaume sort divisé de cette épreuve. Pas plus que le continent, les îles britanniques n’échappent au divorce entre le peuple et les élites. S’y dessinent aussi bien des fractures entre jeunes et anciens, Londoniens et provinciaux, entre les Anglais et les autres. Et au fond cette image de bloc britannique contre le continent, incarnée par Mme Thatcher, puis à des degrés divers par ses successeurs, vient paradoxalement, en perdant sa raison d’être, de souligner l’utilité qu’elle pouvait revêtir, à savoir donner l’impression d’une unité factice, de la même manière qu’au lendemain de la Grande Guerre, le rassemblement du peuple français en armes fit place au retour des vieilles divisions.

 

2/ Dans les autres pays européens, plutôt que de provoquer un sursaut, le vote britannique souligne à la fois l’embarras des dirigeants et l’absence d’idée neuve face à la perplexité des peuples.

L’embarras des dirigeants fut perceptible lors des réunions de Bruxelles : Conseil Européen du 28 et réunion à 27 du mercredi 29 juin. Avant ces rencontres, une exigence semblait émerger : que ce Conseil Européen fût l’occasion pour M. Cameron de notifier l’intention de son pays de se retirer de l’Union. Cette demande fut rapidement abandonnée, face à la détermination du PM britannique de n’en rien faire.

Plusieurs contacts bilatéraux sont intervenus. La principale initiative fut la réunion de Berlin rassemblant, sous la présidence de Mme Merkel, le Président du Conseil Européen ainsi que les dirigeants français et italien.

« On va faire quelque chose » en retient-on. Mais face à la vacuité substantielle du communiqué, d’autres messages forts se dégagent. L’Union dispose de quatre Présidents : ceux du Conseil Européen, M. Tusk ; de la présidence tournante, M. Rutte, Premier ministre néerlandais (ce dernier ayant fait place le 1er juillet au Premier ministre slovaque); de la Commission européenne, M. Juncker ; et du Parlement européen, M. Schulz. Mais comme pour donner raison à ceux qui décrivent une Europe sous domination allemande, la chancelière s’est aussitôt posée en leader.

On ne retint pas davantage des réunions au sommet des 28 et 29, sinon que l’absence de réaction au Brexit n’a pas pour autant suscité de détermination à régler les affaires en cours, qu’il s’agisse de l’économie, des réfugiés, du terrorisme ou de la situation internationale.

 Absence d’idée neuve. Certes les europhobes crient victoire et appellent à des referendums comparables. Il est frappant de constater que les autres partis n’osent même plus leur opposer quelques arguments simples.

Prenons le cas du Front national en France, qui avance l’idée d’un referendum sur le Frexit. Or aucun contradicteur de ce parti n’a fait valoir deux éléments qui, pourtant, viennent aisément à l’esprit.

Le premier : sur quelle base constitutionnelle reposerait un tel referendum ? Pour un parti qui prétend incarner la nation, c’est quand même une question qui devrait se poser. Or, la Constitution française ne prévoit que deux cas de referendum : celui de l’article 89 sur la révision constitutionnelle et celui de l’article 11 qui, sans entrer dans les détails, porte sur certains traités et projets de lois.

Le propre d’un traité est d’être signé par des parties. Il faudrait donc avant le referendum signer un traité avec nos partenaires (lesquels et quel contenu ?). Quant à un projet de loi, il ne pourrait modifier ou violer des traités régulièrement ratifiés.

On pourra répondre : c’est justement cela qui doit cesser. Les Britanniques se sont-ils embarrassés de pareilles considérations ? Non, car les Britanniques n’ont pas, eux, de Constitution. Nous, oui.

Le second argument est encore plus simple : le Royaume Uni n’est pas la France. Et ce, non seulement en raison de notre appartenance à l’euro et à Schengen, qui donne aux europhobes une raison de plus de l’être. Mais aussi parce que dans le monde globalisé actuel, un pays de 60 millions d’habitants ne peut jouer cavalier seul qu’à certaines conditions, que Londres remplit mais pas Paris.

La première d’entre elles est de pouvoir affronter sans crainte la concurrence internationale en renonçant au matelas de protection que constitue un grand marché. Les Britanniques ont renoncé à toute ambition industrielle nationale et ont adopté des réformes drastiques en matière de droit ou de durée du travail comme de retraites. Des réformes que refusent les franco-europhobes.

La seconde est de devoir faire face de manière isolée aux négociations commerciales. C’est un atout, nous pourrons tout refuser alors que la Commission nous défend mal, nous dit-on. Mais le Royaume Uni est par tradition en faveur du libre échange, comme les Pays-Bas et dans une large mesure l’Allemagne. Peu lui importe d’accepter des concessions tarifaires, les normes américaines ou le démantèlement de la PAC, bien au contraire. Le Royaume Uni encourageait la propension de la Commission à faire preuve de souplesse dans toutes les négociations en cours, dont le TTIP. Il en fera de même à titre national. Certes l’Union nous protège insuffisamment, mais seule, la France serait totalement impuissante. La Grande Bretagne aussi, mais cela ne la dérange pas.

Troisième condition : disposer d’une solution de rechange en matière de politique étrangère et de défense. Evidemment, on nous répondra tout de suite : la France est membre permanent du Conseil de Sécurité, dispose de l’arme nucléaire et d’une capacité d’intervention militaire que n’égale en Europe, justement que le Royaume Uni.

Et pourtant, du Général de Gaulle au Président Hollande, la France n’a cessé de plaider pour une politique étrangère et une politique de défense européenne. Qui en était l’adversaire principal ? Le Royaume Uni. On nous dira : sans Londres, ce sera plus facile. Mais sans Londres, nous perdons une composante essentielle de cet édifice dont les fondations sont à peine établies.

Les progrès accomplis ont-ils toujours été imputables à un accord franco-britannique (Saint Malo en 1998, Lancaster House en 2010) ? Oui, mais ces progrès n’ont jamais vraiment abouti, car Londres s’est opposée à toute structuration de l’Europe de la défense. Et surtout, tout effort de défense européenne n’a pu se concrétiser que par subordination à l’OTAN.

Telle est la solution de rechange britannique : conscients que même des Etats comme la France ou le Royaume Uni ne pèsent plus bien lourd, les Britanniques ne voient aucun inconvénient à aligner leur diplomatie sur Washington, à regarder leur défense comme une simple composante de l’OTAN. Alors que la France continue à plaider, bien seule, pour l’Europe européenne. Mais s’il n’y a plus d’Europe, Londres a une solution de rechange. Quelle est la nôtre ?

Ainsi donc, les Europhobes assènent des vérités qui n’en sont pas. Mais le camp des « pro-européens » ou « européistes », qualificatif que leurs accolent désormais leurs détracteurs, semble en panne de réaction. On nous reparle du « noyau dur » et du couple franco-allemand » sans préciser la composition du premier ni l’agenda du second (qui semble souvent en instance de séparation).

Avant la composition des équipes, il faut fixer le programme de la compétition. Et pour cela, répondre à deux questions majeures :

  • Pourquoi les peuples se détournent-ils de la construction européenne ? Est-il encore possible de les convaincre que ce grand projet est une nécessité et un plus dans leurs vies et non pas une contrainte et une source de complications, de dépenses et d’agitations inutiles ? Jusqu’ici, rien n’a marché : la fracture se creuse au lieu de se réduire. Et force est de donner raison à ceux qui pensent que si cela continue, l’Union se désintégrera. Mais il faut faire comprendre la différence entre ce constat et l’utilisation qui en est faite par des mouvements qui, cyniquement, se servent du désamour des peuples pour l’Europe comme carburant électoral. Faut-il continuer à les appeler « populistes » ? Cela les sert car au sens littéral, populiste est proche du peuple.
  • C’est une fois, une fois seulement que l’on disposera d’une réponse convaincante à la première question que l’on pourra aborder la seconde, en termes concrets : quelles sont les initiatives à prendre ? En bonne logique, celles-ci devraient porter sur des sujets jusqu’ici bloqués par Londres : la fin des « chèques », l’abandon de l’unanimité en matière fiscale, l’Europe sociale. On pourrait aussi se demander si certaines dispositions de l’accord du 19 février qui aurait dû éviter le Brexit, ne mériteraient pas d’être néanmoins adoptées. On pense au rôle des Parlements nationaux dans le respect de la subsidiarité ou même à la modulation de certaines prestations en fonction du pouvoir d’achat. Si elles n’ont pas convaincu les « ultras » du Brexit, ces mesures peuvent être de nature à répondre aux préoccupations des peuples qui restent « in ».

Au-delà, un chantier immense s’ouvre à nous : comment redonner un minimum d’efficacité à des institutions conçues pour 6 Etats et supposées fonctionner à 28 ?

 

Visiblement, nos dirigeants ne sont pas prêts, préoccupés qu’ils sont par leurs échéances de politique intérieure. Alors, réfléchissons à leur place !

 

Au lendemain du vote britannique, au-delà de la démission de M. Cameron, trois principales questions se posent :

 

1/ D’abord, celle des conditions du retrait : celles-ci sont fixées par l’article 50 du traité sur l’Union européenne, introduit dans les traités par celui de Lisbonne.

Article 50 paragraphe  2 (..)” A la lumière des orientations du Conseil Européen, l’Union conclut avec cet Etat (NB: celui qui se retire) un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union(..)”

Article 50 paragraphe  3 Les traités cessent d’être applicables à l’Etat concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut deux ans après la notification (NB de l’intention de se retirer), sauf si le Conseil Européen, en accord avec l’Etat membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai”.

Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le RU ne quittera pas l’Union au lendemain du referendum. Une longue négociation s’engage pour fixer les futurs rapports entre Londres et ses partenaires. Et pendant cette négociation, les Britanniques conservent leur statut d’Etat-membre.

Article 50 alinéa 4 : « Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil Européen et du Conseil représentant l’Etat-membre qui se retire ne participe ni  aux délibérations ni aux décisions du Conseil Européen et du Conseil qui le concernent ».

 

2/ Quels seront les effets de ce retrait sur la place du RU en Europe ?

Beaucoup a été écrit sur ce sujet. Au-delà de la stratégie des investisseurs et du rôle de la place de Londres, un point est acquis : tous les organes d l’UE situés au Ru, notamment l’autorité de surveillance des banques, déménageront. Il n’y aura plus ni commissaire, ni parlementaire européen britanniques. Il est probable que la présidence britannique de 2017, même si elle n’est pas remise en cause juridiquement, ne pourra se tenir comme prévu.

Cela étant, les effets d’un tel retrait seront moins spectaculaires pour un Etat tel que le RU, qui n’est membre ni de l’euro ni de Schengen.

 

2/ Un départ du RU peut-il donner  une nouvelle impulsion à l’Europe ?

Si aucune initiative n’est prise, c’est la tendance inverse qui risque de s’imposer. La montée du sentiment anti-européen en Europe du Nord, centrale, voire en France, risque de s’alimenter de la décision des Britanniques, que certains proposeront d’imiter.

Aussi appartiendra-t-il au tandem franco-allemand de retrouver sa capacité de proposition. Remettre sur la table ce que Londres bloquait: l’abandon de l’unanimité en matière fiscale, la fin des “chèques”, la construction d’une véritable Europe de l’asile et de l’immigration, l’Europe sociale, la politique commune de sécurité et de défense. Pour cette dernière, le maintien d’un lien privilégié avec Londres sera naturellement souhaitable.

Bien sûr, nombre d’Etats-membres ne suivront pas le mouvement, car ils approuvaient la ligne britannique ou se dissimulaient derrière Londres. Mais l’occasion sera venue de constituer ce noyau dur évoqué depuis vingt ans, mais dont on n’a cessé de s’éloigner.

Cependant, dans le contexte de politique intérieure que connaissent les principaux Etats et sur fond de rejet du projet européen par les opinions publiques, il existe peu de chances qu’une initiative d’envergure soit adoptée, du moins avant 2017.

 

Pierre Ménat

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Au lendemain du vote britannique, au-delà de la démission de M. Cameron, trois principales questions se posent :

 

1/ D’abord, celle des conditions du retrait : celles-ci sont fixées par l’article 50 du traité sur l’Union européenne, introduit dans les traités par celui de Lisbonne.

Article 50 paragraphe  2 (..)” A la lumière des orientations du Conseil Européen, l’Union conclut avec cet Etat (NB: celui qui se retire) un accord fixant les modalités de son retrait, en tenant compte du cadre de ses relations futures avec l’Union(..)”

Article 50 paragraphe  3 Les traités cessent d’être applicables à l’Etat concerné à partir de la date d’entrée en vigueur de l’accord de retrait ou, à défaut deux ans après la notification (NB de l’intention de se retirer), sauf si le Conseil Européen, en accord avec l’Etat membre concerné, décide à l’unanimité de proroger ce délai”.

Ainsi, contrairement à ce qu’on pourrait croire, le RU ne quittera pas l’Union au lendemain du referendum. Une longue négociation s’engagera pour fixer les futurs rapports entre Londres et ses partenaires. Et pendant cette négociation, les Britanniques conservent leur statut d’Etat-membre.

Article 50 alinéa 4 : « Aux fins des paragraphes 2 et 3, le membre du Conseil Européen et du Conseil représentant l’Etat-membre qui se retire ne participe ni  aux délibérations ni aux décisions du Conseil Européen et du Conseil qui le concernent ».

 

2/ Quels seront les effets de ce retrait sur la place du RU en Europe.

Beaucoup a été écrit sur ce sujet. Au-delà de la stratégie des investisseurs et du rôle de la place de Londres, un point est acquis : tous les organes d l’UE situés au Ru, notamment l’autorité de surveillance des banques, déménageront. Il n’y aura plus ni commissaire, ni parlementaire européen britanniques. Il est probable que la présidence britannique de 2017, même si elle n’est pas remise en cause juridiquement, ne pourra se tenir comme prévu.

Cela étant, les effets d’un tel retrait seront moins spectaculaires pour un Etat tel que le RU, qui n’est membre ni de l’euro ni de Schengen.

 

2/ Un éventuel départ du RU pourrait-il donner  une nouvelle impulsion à l’Europe ?

Si aucune initiative n’est prise, c’est la tendance inverse qui risque de s’imposer. La montée du sentiment anti-européen en Europe du Nord, centrale, voire en France, risque de s’alimenter de la décision des Britanniques, que certains proposeront d’imiter.

Aussi appartiendra-t-il au tandem franco-allemand de retrouver sa capacité de proposition. Remettre sur la table ce que Londres bloquait: l’abandon de l’unanimité en matière fiscale, la fin des “chèques”, la construction d’une véritable Europe de l’asile et de l’immigration, l’Europe sociale, la politique commune de sécurité et de défense. Pour cette dernière, le maintien d’un lien privilégié avec Londres sera naturellement souhaitable.

Bien sûr, nombre d’Etats-membres ne suivront pas le mouvement, car ils approuvaient la ligne britannique ou se dissimulaient derrière Londres. Mais l’occasion sera venue de constituer ce noyau dur évoqué depuis vingt ans, mais dont on n’a cessé de s’éloigner.

Cependant, dans le contexte de politique intérieure que connaissent les principaux Etats et sur fond de rejet du projet européen par les opinions publiques, il existe peu de chances qu’une initiative d’envergure soit adoptée, du moins avant 2017.

 

Pierre Ménat

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Eleven days before the UK vote on staying in the EU or living it, the polls show tight votes for yes or no.

Nevertheless, a dynamic seems to play in the “no’ direction. Two weeeks ago, the yes had performed a modest breakthrough, which today seems reversed.

Thus it’s a poker strike which will decide on one of the major events of the european history.

The press reports on the campaign but remains discrete on “the day after”.

In the case of staying, no major wave is expected, except a tough british line on current issues. In Brussels, Mr Cameron will not be in a position to ignore that half of his fellowcitizens have wished that he woul’nt seat there anymore.

The case of exit seems more complex. Besides the political future of the British Premier, two problems will raise: the conditions for the exit and whether the 27 will give a new impetus to Europe.

1/ The answer to the 1st question ins provided for by article 50 of the Treaty on the European Union, introduced in the european law by the Lisbon treaty.

Article 50 para 2 “In the light ot the oritentations of the European Council, the Union concludes with this State (nb: the one which leaves) an agreement establishing the modalities of its withdrawal, taking into account the framework of its future relations with the Union”

Article 50 para 3 “The treaties cease to be applicable to the concerned State starting from the date of implementation of the withdrawal agreement or at least two years after the notification (of the intention to withdraw) unless the European Council, in agreement with the concerned Member State, decides unanimously to extend this timeframe”

Thus, contrary to what one could believe, the Uk would not leave the EU the day after the referendum. A long negociation would start to establish future relations between London and its partners. And during this one, the British would keep their member state status.

2/ Would a British exit allow a new start for Europe ?

If no initiative is taken, the contrary  is likely. The rise of euroscepitcism in Northern, Central Europe or even France will feed itself from the british decsion, which some will propose to copy.

Thus it will belong to the franco-german tandem to find back its capacity of proposals. Table back all that London used to block: give up unanimity on taxes, the end of rebates, building a real Immigration and Azylum Europe, social Europe, the CSDP on which a link with the UK will have to be preserved.

Of course, a number of States will not follow that move, because they approved the London stand or used to hide themselves behaind it. But the opportunity will come to build this “noyau dur” on which we have been talking for twenty years, but from which we have more and more got apart.

Article que je viens de publier dans le Courrier du Maghreb et de l’Orient.

 

Après la chute du Mur de Berlin, Francis Fukuyama publia un livre célèbre, « La fin de l’histoire », qui entendait proclamer le triomphe des principes démocratiques.

L’histoire n’était pas finie, mais la guerre froide l’était. Nombreux furent ceux qui perçurent le danger d’un détournement vers l’Est de l’attention et de l’assistance jusque-là portées, modestement, au Sud. Mais peu de commentateurs se penchèrent sur l’effet sur le monde arabo-musulman de cet événement majeur.

Et pourtant, que de bouleversements survenus en vingt-sept ans !

En 1989, le Proche et le Moyen Orient  étaient dotés d’Etats solides, édifiés peu à peu depuis 1945, certes, pour la plupart, sous la férule de pouvoirs autoritaires. Comme d’autres, ceux-ci subissaient la tutelle des deux Grands, qui y exerçaient leurs influences respectives, et sifflaient, conjointement ou séparément, la fin de la partie lorsque des conflits menaçaient de dégénérer. L’exemple de l’ultimatum américano-soviétique qui stoppa l’expédition franco-britannique de Suez en octobre 1956, ou celui de la mise en alerte maximale des forces soviétiques face à la contre-offensive israélienne de la guerre du Kippour en octobre 1973, en fournissent des illustrations.

En 2016, trois grands pays arabes, l’Irak, la Syrie et la Libye, sont en pleine décomposition, sans parler de l’Afghanistan si proche. La région souffre d’un manque de leadership mondial, qui s’est décanté en deux temps. De 1989 à 2003, les Etats-Unis, avec la complicité d’une Russie affaiblie et d’une Europe inexistante, ont entendu imposer leur férule unilatérale. Puis, les catastrophiques interventions américaines en Afghanistan et en Irak ont affaibli la crédibilité de Washington en même temps que se développait aux Etats-Unis même un fort isolationnisme

Porteurs d’espoirs, les printemps arabes ont entraîné amertume et désillusions, y compris en Tunisie, seul acteur de ce grand mouvement qui ait préservé un modèle démocratique.

La rupture d’un équilibre insatisfaisant, mais d’une certaine manière rassurant, a fait place au vide, qu’ont su exploiter d’une part les mouvements djihadistes ultra-radicaux, d’autre part les puissances régionales (Arabie Saoudite, Egypte, Iran, Turquie), qui ont fait du monde arabo-musulman l’enjeu de leurs luttes d’influence. Le retour récent de la Russie dans la région s’il n’est pas en soi négatif, ne peut être  porteur d équilibre que s’il est dépourvu de partialité, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.

Or, qui peut aujourd’hui exercer sur un Proche Orient en danger d’explosion, sur un Maghreb confronté aux risques de déstabilisation, une influence positive mais non dominatrice ? Ni les Etats-Unis, ni la Russie, ni la Chine, attachée avant tout à son rayonnement économique d’ailleurs réversible. Seule l’Union Européenne est capable de jouer ce rôle.

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On objectera aussitôt que l’UE n’est pas un Etat ; qu’elle est sujette au rejet de ses peuples, condamnée à l’impuissance en raison des divergences entre ses membres. Et pourtant, au sein de cette Union, aucun Etat membre ne dispose de la marge d’action nécessaire. La France détient encore une capacité d’intervention politico-militaire mais est dépourvue des moyens financiers à la hauteur de l’enjeu. L’Allemagne,  reconnue comme la première puissance économique du continent, ne peut jouer, à elle seule, un tel rôle, ne fût-ce qu’en raison des limites qu’elle s’impose dans ses interventions extérieures. Trop lié aux Etats-Unis et empêtré dans le débat sur le Brexit, le Royaume-Uni est lui-même confronté à la tentation du repli.

L’Union européenne, en dépit des tous les freins entravant son action, détient un certain nombre des clés d’une influence diplomatique.

 

C’est d’abord la compétence juridique. Elle était totalement absente du traité de Rome, mais elle fut ébauchée par le traité de Maastricht qui institua une politique étrangère et de sécurité commune (PESC). C’est le fameux deuxième pilier, purement intergouvernemental de l’Union.

Cette compétence est étendue par le traité de Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009, qui confère à l’Union la personnalité morale, c’est-à-dire la capacité de mener des négociations et de conclure les traités (réservée jusque-là à la Communauté, qui, entre 1993 et 2009). Certes, la politique étrangère n’est pas mentionnée dans les articles 3 à 6 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) qui énumèrent les compétences de l’Union. Mais les dispositions combinées du Titre V du Traité sur l’Union européenne et de la cinquième partie du TFUE consacrée à l’action extérieure de l’Union procèdent à une fusion PESC/action extérieure.

Or, au titre de cette dernière, l’Union dispose de nombreuses compétences, dont certaines exclusives (politique commerciale, Union douanière). L’article 3 alinéa 2 TFUE rappelle aussi la compétence de l’UE pour conclure des accords sur toute matière faisant l’objet d’une législation interne (AETR).

Après la compétence, les institutions. Dans ce domaine, le traité de Lisbonne innove également. Au Conseil européen de fixer les orientations. Mais il existe désormais un Conseil des ministres des affaires étrangères, séparé du Conseil Affaires générales. Et ce CAE est présidé non plus par la présidence tournante, mais par un personnage qui fait son apparition dans la galaxie européenne : le haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et de sécurité. Selon l’article 18 du traité sur l’Union européenne, celui-ci est nommé par le Conseil européen à la majorité qualifiée, avec l’accord du Président de la Commission, dont il est l’un des vice-présidents.

La mission de ce haut représentant (que la Constitution européenne avait appelé ministre des affaires étrangère de l’Union) est vaste : conduire la politique étrangère et de sécurité commune de l’Union, ainsi que sa politique de sécurité et de défense commune.

Les institutions n’existent que par les personnes qui les incarnent. Il s’agit d’abord du Conseil Européen, dont le Président, désormais stable, assure la représentation extérieure du CE. Deux personnalités ont jusqu’ici occupé ce poste : M. Herman Van Rompuy (Belgique) de 2009 à 2014 ; M. Donald Tusk (Pologne) depuis le 1er novembre 2014. Il s’agit aussi, bien sûr du Haut représentant, ou plutôt de la Haute représentante, puisque deux femmes se sont succédés dans cette fonction ; Lady Ashton (Royaume Uni) de 2009 à 2014, puis Mme Federica Mogherini (Italie) depuis 2014. On a noté la présence de celles-ci dans de grandes négociations internationales, comme le nucléaire iranien ou les pourparlers avec la Russie sur l’Ukraine.

 

Compétence, institutions, hauts responsables ne seraient rien sans instruments appropriés.

Or ceux-ci ne manquent pas. Ils prennent leur source dans les différentes politiques communes : la PESC et la PSDC mais aussi la politique commerciale, l’action humanitaire, la politique de développement et bien d’autres. Ces politiques sont dotées de moyens juridiques (telles que les mesures restrictives), financiers (sur ce plan, il faut prendre en compte, au-delà de la PESC proprement dite, l’ensemble de l’action extérieure de l’Union, c’est-à-dire les dépenses de la rubrique « Europe dans le monde » du budget, de l’ordre de 1,4 milliard d’euro par an, auxquelles il faut ajouter celles du Fonds européen de développement (4,4 milliards d’€ par an).

Les moyens humains sont regroupés au sein du Service européen pour l’action extérieure, dirigé par Pierre Vimont puis par le Secrétaire général actuel Alain le Roy, sous l’autorité de Madame Mogherini.

Quant à la politique de sécurité et de défense commune, elle ne manque pas non plus de moyens opérationnels (organes civils et militaires, agence de défense).

Pour autant ces attributs n’ont pu être fédérés de manière achevée, pour plusieurs raisons : règle de l’unanimité, multiplicité des organes, source de concurrence et partant de confusion, absence d’utilisation des potentialités du traité, notamment la possibilité de déléguer à certains Etats-membre le pouvoir d’agir au nom de l’Union.

 

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En quoi cette force diplomatique européenne pourrait-elle exercer une influence positive sur le monde arabo-musulman ?

1/ En premier lieu, l’Union doit établir avec la Turquie une relation saine et équilibrée.

La situation actuelle n’est pas satisfaisante, car elle est trop marquée par le dossier de l’adhésion turque à l’UE. Chacun sait que l’obtention par Ankara s’un statut d’Etat-membre de plein exercice n’aboutira pas dans les années à venir. Mais les autorités turques jouent de cette situation pour exiger, en contrepartie, des concessions unilatérales.

Or, pour que s’épanouissent des rapports fructueux entre l’Union européenne et la Turquie, il faut que les deux parties reconnaissent comme postulat de base que leur association prendra, pendant longtemps, la forme d’un partenariat privilégié, même si l’objectif de l’adhésion n’est pas totalement perdu de vue, puisque les négociations se poursuivent.

Dès lors, l’immense potentiel que confère à l’UE l’intensité de son concours à la Turquie pourrait être mieux valorisé. En plus de l’Union douanière, l’UE apporte à ce pays une contribution financière de l’ordre d’1 milliard d’euro par an, à laquelle s’ajouteront les crédits (qui pourraient s’élever à 6 milliards d’euros) dont l’Union a accepté le principe en vue de permettre à leur partenaire de faire face à l’accueil des réfugiés victimes des conflits régionaux. L’engagement des autorités turques d’accepter le retour sur leur territoire des réfugiés entrés dans l’UE demeure théorique, ne fût-ce qu’en raison des règles relatives à l’asile, qui permettent aux personnes présentant une demande de cette nature de demeurer dans l’UE aussi longtemps que la procédure d’octroi du statut de réfugié n’est pas achevée.
Une véritable  Entente euro-turque impliquerait qu’un dialogue approfondi et systématique, assorti d’une obligation de résultat, s’établisse entre les deux parties non seulement sur les questions de développement économique, mais sur l’ensemble des problèmes géostratégiques de la région.

2/ Le partenariat euro-méditerranéen doit retrouver tout son sens. Il faut reconnaître que la création, heureuse en elle-même, de l’Union pour la Méditerranée, a semé une certaine confusion entre les responsabilités respectives de Bruxelles et du secrétariat de Barcelone. En réalité, l’essentiel, pour ne pas dire la totalité des contributions financières à l’UPM, proviennent de l’UE. Celle-ci, au titre de la politique européenne de voisinage, accordera des subventions de plus de 9 milliards d’euros entre 2014 et 2020 à ses partenaires méditerranéens. Il faut veiller à la pérennité de cet effort, qui ne doit pas être délaissé au profit du partenariat oriental, mais aussi au respect de la lettre et de l’esprit des accords d’association, qui subordonnent ces contributions à des engagements précis, notamment en matière de respect des droits de l’homme.

3/ Au sein de cet ensemble méditerranéen, une attention particulière doit être portée au Maghreb, tant sont essentiels sur les plans économique, politique et humain, ses rapports avec l’Europe. Il faut bien sur mettre à part le cas de la Libye : l’urgence est d’y rétablir la paix, puis le droit. Les grands enjeux de l’Algérie, le Maroc et la Tunisie, ce sont la stabilité politique, le développement économique, la consolidation de la démocratie et de l’Etat de droit, la lutte contre le terrorisme et la gestion concertée des flux migratoires.

Le cas de la Tunisie doit faire l’objet d’efforts plus soutenus. L’Union européenne, qui a noué avec Tunis des relations très intenses (enveloppe budgétaire de 200 M€ par an, forte présence de la BEI) doit être encore plus attentive à cette nation à la recherche d’un modèle original, qui a réussi à préserver la démocratie, mais qui est confrontée à la triple menace du chômage, du terrorisme et du rejet instinctif, tant par l’élite que par le peuple, de tout pouvoir, celui-ci étant systématiquement perçu comme ne répondant pas aux aspirations des citoyens.

Avec le Maroc, qui dispose d’un statut avancé, il est important de mettre fin à la crise née de l’arrêt du 10 décembre 2015 de la Cour de Justice de l’Union européenne, qui a annulé l’accord agricole de 2012, et entraîné la suspension par le Maroc des contacts avec l’UE.

Avec l’Algérie, il est nécessaire de préparer l’après Bouteflika et de contribuer à lever les rigidités inévitables dans un pays qui a surmonté vingt ans de guerre civile, peu de temps après la guerre de décolonisation.

Avec ces trois pays, l’UE doit adopter une attitude pragmatique, tant dans ses rapports avec les pouvoirs en place qu’avec les représentants de l’islamisme politique. S’il est une entité qui peut conforter les responsables de ces mouvements dans leur refus de tout lien et tout rapprochement idéologique avec les djihadistes, c’est bien l’Union  européenne. Celle-ci, dans ses rapports  avec le Maghreb, doit s’appuyer sur les Etats-membres qui en sont le plus proches : la France, l’Italie et l’Espagne.

4/ L’UE doit prendre une initiative pour relancer le processus de paix israélo-palestinien. Celui-ci est aujourd’hui complètement en panne, délaissé malgré quelques bonnes intentions par l’administration Obama. Ce sujet n’est la priorité ni d’Israël, ni de ses adversaires les plus farouches (Iran, Hamas, Hezbollah) engagés dans la lutte contre Daesh. Il est quand même notable  que l’adjectif « terroriste » accolé au Hezbollah, qui avait placé  le Premier ministre Lionel Jospin en pâture aux jeteurs de cailloux, soit désormais utilisé par les principaux dirigeants  sunnites.

L’occasion est historique. Daesh est l’ennemi commun d’Israël, de l’autorité palestinienne et de l’Europe. Par ailleurs, l’accord d’association UE-Israël est d’une telle portée qu’il justifierait pleinement un investissement plus important de l’Union dans le processus de paix.

5/ De manière plus générale, l’UE pourrait proposer aux Etats arabo-musulmans un Pacte contre le terrorisme qui mine nos sociétés et vise avant tout à sanctionner tout effort de paix et de compréhension entre les civilisations et les cultures.

 

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Bien entendu, ces objectifs ne peuvent être remplis que si plusieurs conditions sont réunies :

 

1/ Mettre de côté les querelles idéologiques qui ont affecté cette question :

  • Ne pas reprendre le débat entre « communautaire » et « intergouvernemental ». Admettre que l’UE, y compris en politique extérieure, relève d’un modèle sui generis.
  • Ne pas poser la question du « siège unique européen au Conseil de sécurité », qui supposerait une révision de la charte de l’ONU et constituerait le stade le plus achevé d’une politique étrangère de l’UE.

2/ Fédérer autour du Conseil Européen, du Conseil et du SEAE les moyens diplomatiques de l’Union.

3/ Systématiser les délégations de pouvoirs à certains Etats membres, lesquels pourraient davantage agir au nom de l’Union.

4/ Appliquer enfin les décisions des Conseils Européens de 2013 et de 2015 sur la PSDC, portant sur trois sujets : les capacités, la conduite des opérations (avec un renforcement de l’état-major européen), le parachèvement du marché industriel (sous l’égide de l’Agence de défense).

5/ Sur le modèle des critères de Maastricht, fixer des indicateurs de niveau de dépenses militaires, en définissant un mécanisme d’exemption du critère budgétaire de Maastricht.

6/ Développer les coopérations renforcées dans le domaine de la politique étrangère et de la défense (en tenant naturellement compte d’un éventuel Brexit, car il ne peut y avoir de politique étrangère sans le RU).

7/ Se donner les moyens d’une véritable politique d’immigration, qui passe par un accord avec les pays d’origine des victimes des trafics.

 

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Pour que l’Europe soit écoutée, elle doit être indépendante, ne s’aligner ni sur Washington, ni sur Moscou, ni sur Ryadh. Cette « Europe européenne » voulue par le Général de Gaulle était sans doute un rêve de son temps, qui était celui des blocs. Dans le monde de 2016, une telle politique européenne, même si beaucoup la jugeront irréaliste, voire impensable, est nécessaire et possible. A une condition, qui résume et dépasse à la fois toutes celles déjà énoncées : l’émergence d’une volonté politique de nos Etats.

 

Pierre Ménat

 

 

 

 

 

 

A l’invitation du Diplomat club et de l’Alliance française de La Haye, j’ai présenté le 16 mars mon livre “Un ambassadeur dans la révolution tunisienne”. J’y ai retrouvé beaucoup d’amis.307292.jpg Martin Beyer, H.E. Pierre Ménat, Shida Bliek, Xavier Rey, Richard Schreurs

Je me suis rendu à Bucarest du 20 au 22 janvier 2016. But de ce déplacement: présentation de mon livre “Un ambassadeur dans la révolution tunisienne”. A la librairie Kyralina, le 20 janvier à 19 heures, nous avons, grâce à l’excellente modération de Valentine Gigaudeau, tenu des débats de bon niveau. Je salue la présence de nombreux amis, dont l’ancien Président Constantinescu.

A la librairie Kyralina                                                          IMG_0423

 

Autre objectif: des échanges de vues qui m’ont permis de faire connaitre la société Pierre Ménat Conseil. Dans ce cadre, j’ai rencontré le ministre des affaires étrangères Lazar Comanescu:

 

IMG_0429

 

 

livreCe livre n’est pas seulement le témoignage attendu de Pierre Ménat, ambassadeur de France en Tunisie au moment de la Révolution, qui, en 2011, mit fin au régime de Ben Ali. Il constitue aussi une formidable contribution à l’analyse du métier d’ambassadeur. Il permet de mieux appréhender les projets de coopération, les jeux politiques et médiatiques ainsi que la mécanique contemporaine des relations internationales.